Sandra Nkaké, marraine de la 10ème édition

Extrait de l’entretien de Philippe Fanjas, directeur de l’Association Française des Orchestres avec Sandra Nkaké, marraine de la 10ème édition

Le 3 septembre 2018

PF : Bonjour Sandra, est-ce que vous pouvez nous raconter votre premier souvenir lié à la musique classique ?

SN : « La première œuvre classique que j’ai entendue, je crois que c’était un concerto pour violon de Tchaikovsky. C’était à la maison. Mais le premier rapport assez frontal que j’ai eu avec la musique classique c’était avec mon professeur de musique, […] et c’était la première fois que j’écoutais du Béla Bartók. Je m’étais toujours imaginé que ce serait une musique à laquelle je serais totalement hermétique, et pas du tout. Contrairement à mes copains qui étaient avec moi et qui s’ennuyaient fermement, moi j’ai eu la sensation que ça me parlait, que ce n’était pas forcément ma langue, mais que ça déclenchait en moi des choses que je n’avais pas du tout imaginé. Pour moi ça allait être une musique complexe, compliquée, âpre et dur, et en fait pas du tout. J’avais vraiment l’impression que c’était comme une balade en forêt, c’est-à-dire que c’est une forêt qu’on connaît, et tout d’un coup on prend un chemin que l’on pensait reconnaître, et on découvre autre chose. Ça m’a évoqué évidemment des sons mais aussi des images, des saveurs, et des émotions qui sont encore vivaces. »

PF : Qu’est ce qu’évoque l’orchestre pour vous ?

SN : « Pour moi l’orchestre c’est « famille », c’est comme si c’était plusieurs éléments du corps, c’est ensemble, c’est indissociable et en même temps avec plein de particularités. Pour moi c’est comme une espèce de réduction, de concentré d’une société. Parce qu’entre la timbale, la flûte traversière, le hautbois, le violon, le violoncelle, la harpe… Dans chaque instrument il y a des milliers de tessitures et de combinaisons possibles. Réussir à accorder tout ça, à faire en sorte que sur une partition il y ait un moment d’intervention pour un instrumentiste, parfois c’est compliqué. Mais de se dire qu’en fait, on raconte tous une histoire et qu’on est tous un maillon important de l’histoire, quels que soient la quantité de notes et le volume qu’on a à jouer, ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte c’est l’histoire qui est racontée. Donc pour moi l’orchestre c’est vraiment […] une famille, il y a plein de générations, plein d’âges, plein de personnalités différentes. Ce n’est pas toujours aisé, mais c’est justement ça qui fait que c’est beau. »

PF : Une pièce que tout le monde doit avoir écouté au moins une fois dans sa vie ? 

SN : « Je dirais La Mer, parce que je ne vois pas d’autres pièces plus émouvantes. Après évidemment c’est très personnel. Je trouve qu’elle est porteuse de variations à la fois grandioses et très ténues. C’est une œuvre qui continue à m’impressionner à m’émouvoir, et qui je pense est accessible, en fait. Je pense qu’elle est porteuse dans l’écriture, dans le son d’une mélancolie réelle qui est elle-même porteuse d’image. Pour moi ce n’est pas que le rythme de la mer mais c’est aussi le rythme de la vie, de notre questionnement existentiel, du fait d’accepter que l’on est là, que l’on est témoin de cette nature magnifique, que l’on est que de passage, que l’on ne va jamais réussir à savoir pourquoi on est là, qu’il faut accepter notre finitude et en même temps, accepter la magnificence de chaque instant. Moi c’est ce que j’entends dans cette œuvre-là, quelque chose d’à la fois très pudique très intime et en même temps de très fort de très violent. […] Il  y a tellement de choses dans cette œuvre, […] et je me dis, si on pouvait tous l’avoir écouté au moins une fois, ce serait génial. »

PF : Quelle cause vous tient particulièrement à cœur ? 

SN : « Il y a beaucoup de choses qui me tiennent à cœur évidemment. Je pense à Simone de Beauvoir qui disait  « on ne naît pas femme, on le devient ». Il y a cette question et ce questionnement sur le genre et sur l’assignation, sur notre capacité en tant que personne genrée, identifiée comme femme. Nous sommes capables et nous sommes nombreuses. Nous ne sommes pas des dangers, et nous avons besoin d’être entendues, d’être vues. Ce n’est pas un problème de quantité, […] c’est un problème de société, de volonté politique. Il est temps que ça change. Mais peut-être que je suis trop pressée, que ça va venir petit à petit. C’est en train de changer, pas assez vite à mon goût. Mais parce qu’il y a aussi une espèce de croyance endémique, même de notre part, que nous ne sommes pas capables. […] C’est n’est pas du tout une guerre bien au contraire, je pense qu’on sera plus riche les uns des autres si on sait vraiment se mélanger ».

PF : Pourquoi avez-vous accepté de parrainer Orchestres en fête cette année ?

« C’est une joie et puis une fierté. Cela dit beaucoup de choses sur notre ouverture et sur notre curiosité réciproque. Et ça dit beaucoup de choses aussi sur l’évolution de la société je pense. Il y a plus de personnes ouvertes et curieuses que l’on veut bien le croire. Je pense que la France est plus ouverte et plus généreuse qu’on le croit, en tout cas que c’est exprimé par certains médias. Je le vois en voyageant en faisant beaucoup de concerts. […] Le public est très mélangé. Et dans les âges et dans les classes sociales, quoi qu’on en dise. En fait, le mouvement il est déjà là, il faut simplement qu’on en parle plus, mais il a déjà lieu dans les milieux urbains mais aussi à la campagne. Il y a un vrai travail de mixité sociale qui est en cours depuis une quinzaine d’années, mais qui n’est malheureusement pas assez médiatisé, donc… Orchestres en Fête, merci ! »